La gestion et l’intérêt des profils zèbres au sein d’une entreprise
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Bien sûr, et cela revêt son importance. La notion de « zèbre » a été proposée pour la première fois par la psychologue Jeanne Siaud Facchin, qui a vu en l’animal les traits saillants des profils que j’accompagne aujourd’hui. Le zèbre est un animal que l’on ne peut pas apprivoiser, dont les rayures lui permettent à la fois de se dissimuler et d’être reconnu.
Jusque-là, le terme utilisé était « surdoué », ce qui n’était pas réellement satisfaisant. Il prêtait à la confusion et méritait d’être identifié correctement dans le large éventail de mots qui font référence à la rapidité d’esprit : haut potentiel intellectuel, génie, prodige, etc. C’est d’ailleurs un problème de vocabulaire propre à la langue française ; au Canada, en Angleterre, en Belgique, aux USA, un seul terme y fait référence : gifted. Contrairement à « surdoué », gifted n’est ni comparatif, ni restrictif, ni abusif. Or, ce qui a trait au zèbre, c’est la « douance », le fait d’être doué. Et c’est en cela que « surdoué » s’accompagne d’un cortège de fausses idées : celui qui réussit tout, celui qui a un brillant avenir.
Le zèbre n’est donc ni supérieur, ni réduit à un haut potentiel intellectuel. Et il n’a bien souvent aucune conscience de son caractère « doué ». C’est un profil très complexe mais qui réunit selon moi ces trois caractéristiques majeures :
- Un fort potentiel intellectuel : mesuré par le test de QI (+130) mais qui en réalité peut être reconnu sous d’autres formes d’intelligence que l’intelligence logico-mathématique.
- Une très forte sensibilité ou hypersensibilité : peut être positive mais également avoir un versant compliqué.
- Des préférences comportementales de type cerveau droit : correspondent à la créativité, la pensée en arborescence, l’intuition.
Le saviez-vous ?
Howard Gardner a su montrer que l’intelligence ne se mesurait pas uniquement par le Quotient intellectuel (QI) et qu’il existait des intelligences multiples. Le QI a le défaut de faire basculer arbitrairement des personnes dans une catégorie par l’ordonnance de sa limite (130 et +).
A lire : Howard Gardner, Les intelligences multiples : La théorie qui bouleverse nos idées reçues, RETZ
Il faut impérativement clarifier une chose auprès des recruteurs : le zèbre n’est ni inférieur, ni supérieur. Il n’est pas malade, il n’est pas victime. Il est en marge par sa rapidité d’esprit, par sa capacité à associer des idées et par son esprit créatif. Aujourd’hui, il y a quand même un besoin fort des entreprises à recruter des profils créatifs. La différence du zèbre est donc à mon sens positive et c’est la raison pour laquelle les dirigeants ont tout intérêt à travailler avec eux.
Ils sont rapides. Ils sont disruptifs. Ils voient des erreurs que personne n’a vu. Du fait de leur extrême sensibilité, ils ont une perception très fine des non-dits, des enjeux humains. Ils ont une grande finesse dans ces choses-là. Ce sont des gens qui apprennent vite, et qui ont une vraie aisance dans la complexité. Ils sont également très endurants et peuvent parfois travailler jusqu’à l’épuisement. Parfois, c’est aussi le plaisir de faire fonctionner à plein régime leurs capacités qui les motive.
Du fait de leur pensée intuitive, ils pensent out of the box et c’est aussi ce qui en fait des visionnaires. C’est souvent eux qui ont les bonnes idées avant tout le monde et qui vont tirer la sonnette d’alarme ou donner la vraie bonne idée : beaucoup de mes clients me disent que la mesure que leur entreprise vient d’adopter, eux l’avaient proposée trois ans auparavant.
Du point de vue de la productivité globale, ils vont apporter une diversité au sein des équipes et les rendre de ce fait plus performantes. Quelques études ont su démontrer que les équipes les plus efficaces en terme de résolution de problème, sont les équipes qui sont cognitivement les plus diverses (article d’ Harward Business Review). Mon confrère et moi-même sensibilisons d’ailleurs les entreprises sur la nécessité de la diversité cognitive. Une équipe de clones va toujours droit dans le mur parce que tout le monde pense de la même façon. Un conseil d’administration – de personnes qui ont le même âge, du même sexe et qui ont tous fait leur carrière entière dans la même entreprise – est peut être finalement dommageable pour l’entreprise.
Mais cela demande aussi un effort aux dirigeants de comprendre cela.
Ce n’est pas évident. Il m’arrive dans certains cas d’identifier un zèbre en 5 minutes, mais cela peut parfois prendre plus de temps. Et cela vient du fait que le zèbre a un aspect caméléon : il est doué pour se conformer à ce qu’attend le recruteur de lui. Il est capable d’entendre la sous question dans la question. C’est d’ailleurs pour cela qu’il excelle en entretien : il sait pertinemment ce qu’il faut dire ou quelle posture adopter.
Le reste peut apparaître sous la forme d’indices connectés : une pensée en escalier, une vraie créativité, une façon de répondre aux questions d’un recruteur qui va être étonnante, un intérêt bien plus fort pour la mission que pour l’argent, une facilité à faire des liens entre les sujets, une expertise très pointue dans un domaine ou au contraire un CV éclectique.
Les entreprises avec lesquelles je travaille me disent souvent : « ce collaborateur, je veux absolument le garder, mais il est vraiment compliqué à gérer ! » ou encore : « parfois, elle fond en larmes quand je lui fais une remarque, je ne sais plus comment communiquer avec elle ».
Si les entreprises peuvent être enthousiastes à l’idée de recruter des profils atypiques, il faut que le recrutement soit suivi d’un véritable accompagnement par le management. Or ce n’est pas toujours le cas et il y a beaucoup de gâchis. Gâchis pour l’entreprise qui perdra l’occasion de bénéficier d’un fort potentiel, mais aussi gâchis pour le zèbre incompris ou délaissé qui va finir par se mettre en sous-production ou par partir.
Plusieurs éléments peuvent aider les managers. Tout d’abord, les zèbres ont un fort besoin de sens. L’absurdité les touche particulièrement.
D’autre part ils ne sont pas à l’aise avec la notion classique de hiérarchie, surtout si elle est injustifiée et que les instructions qu’on leur donne les mettent dans une forme de dissonance cognitive. Essayez de faire participer un zèbre à une réunion inutile et vous verrez ce qu’il s’ensuit : il se connectera à autre chose, se recroquevillera sur lui-même, voire pourra se mettre en colère.
Puis, ils vont avoir un besoin parfois de toucher à tout, tout simplement parce qu’ils s’intéressent à tout ! L’erreur managériale serait de voir en cela des profils dispersés.
Au-delà de l’absurdité, l’ennui peut également être lié à la rapidité du zèbre et à son fort besoin de connaissances multiples. L’ennui est vite atteint s’il n’est pas challengé dans son poste. Je conseillerais donc de lui donner la possibilité de toucher à tout mais surtout d’avancer vite et en toute autonomie sur un projet dans lequel il peut avoir toute latitude d’action.
Ensuite, le zèbre pense par arborescence : il faut donc lui donner le temps et l’occasion de formuler ses idées de façon linéaire. Ce sont bien souvent de bonnes idées car il a une vraie capacité à traiter des problématiques complexes.
Enfin il faut que le manager prenne en compte certaines de ses particularités : un zèbre peut être très sensible au bruit par exemple et il n’aura pas une productivité maximale en openspace. C’est quelque chose qu’il faut accepter en tant que manager.
Il est en effet important de souligner que la responsabilité d’adaptation se porte à parts égales : les efforts doivent venir des deux côtés. Si je conseille aux managers de respecter les caractéristiques propres au zèbre, cela ne veut pas dire qu’on peut lui dire « moi je suis comme ça, je suis un créatif et on me prend tel quel ! ». Il y a un devoir de co-responsabilité. L’objectif est de trouver le bon niveau d’alignement comportemental des deux côtés. Chacun doit accepter sa part d’inconfort.
L’idée est de permettre à un écosystème de se créer, dans lequel le dialogue entre les zèbres et l’organisation qui les emploie soit facilité, enrichi et approfondi. Toute entreprise a un système de valeurs, plus ou moins normé, plus ou moins contraignant. C’est en effet un jeu à jouer, et j’ai de beaux exemples de réussites dans ce domaine là.
Du côté de l’entreprise, une explication claire des codes de l’organisation et sa culture dominante – dès le process de recrutement – me semblent nécessaires, ainsi qu’une invitation au dialogue autour des codes et des modes de fonctionnement ; cela facilite le dialogue et évite les incompréhensions.
Du côté des zèbres, nommer les choses, y compris les évidences (« oui je suis créatif et peu structuré »), donner des clés de son propre mode d’emploi (« j’ai besoin d’être souvent seul pour donner le meilleur de moi-même »), exprimer des demandes claires et légitimes seront des moyens d’y parvenir.
Si tout cela est pris en compte et compris avant même qu’une offre d’embauche ne soit faite, tous les éléments seront réunis pour permettre l’épanouissement professionnel et personnel du zèbre.
Je ne peux pas répondre pour tout le monde d’un coup ! Tout simplement parce qu’ il y a des zèbres introvertis et des zèbres extravertis. Cela change tout ! Les profils introvertis ont bien souvent besoin de beaucoup de temps pour réfléchir et d’isolement. A l’inverse, les profils extravertis s’imposent comme des tsunamis dans leur entreprise : ils proposent énormément d’idées et bousculent les habitudes d’une entreprise.
Ce que je peux vous dire en revanche et qui cassera probablement beaucoup de préjugés, c’est que les zèbres peuvent évoluer partout. Si son environnement de travail ne lui convient pas, il trouvera toujours un moyen de poursuivre sa quête de sens dans des activités extra professionnelles. Un zèbre peut aussi bien endosser un rôle à très grande responsabilité dans un Big 4, qu’être peintre en bâtiment. L’essentiel est qu’il trouve du sens dans son univers professionnel. Si ce n’est pas le cas, le zèbre ira chercher ce sens ailleurs – dans la poterie, la philosophie, l’apprentissage d’une langue – mais ce ne sont ni des équipes, ni une entreprise qui bénéficieront de ce potentiel.
Plus généralement, un zèbre s’épanouira dans une structure où la hiérarchie est faible, où il y a un minimum de procédure et dans un environnement juste.